Duo parisien de musique électronique, Leroy Se Meurt n’est pas le genre de groupe qui fait dans la dentelle. La première écoute du roi nous tabasse, la seconde nous fait danser jusqu’à l’épuisement et la troisième nous laisse gisant au sol, le visage tuméfié par cette expérience salutaire. En rappelant que la musique électronique a aussi vocation de punir, le duo parisien Leroy Se Meurt s’inscrit en ce moment comme la référence EBM de la capitale. A l’occasion de la sortie en novembre dernier de son troisième EP Makine Kültürü le nous sommes allés discuter avec les sympathiques Volkan et Mathieu, les deux artistes derrière « LRSM ».

Interview

FEV : Salut ! Pouvez-vous vous présenter ? Je sais que Volkan joue aussi chez Hobby. Et toi, Mathieu ? 

Mathieu : Hello, et merci pour l’interview ! Mathieu, la trentaine, je suis arrivé à Paris il y a 8 ans, à peu près en même temps que Volkan. On s’est connu quand on vivait à Lyon et on s’est retrouvé ici où on a continué à traîner ensemble et à aller aux mêmes concerts. Je bricole des sons avec des machines depuis quelques temps mais c’est vraiment avec Leroy que j’ai commencé à publier des choses officielles et à me produire en live. J’ai aussi un compte soundcloud (@vitriol_fr) sur lequel il y a quelques morceaux instrumentaux et l’un d’eux est sorti sur une compile du label Néerlandais Enfant Terrible.

Volkan : Effectivement, j’ai plusieurs projets dont Hobby dans lequel je fais de la guitare et je chante. Niveau style ça n’a rien à voir avec Leroy se meurt puisque c’est plutôt de l’indie pop. J’aime bien le fait de pouvoir toucher à plusieurs styles. C’est musicalement très enrichissant.

FEV : Quand et pourquoi avoir choisi de former Leroy Se Meurt ?

Volkan : La première fois qu’on a évoqué l’idée de faire de la musique ensemble c’était en mai 2017, pendant les concerts en plein air de la Villette Sonique. Nous n’avions pas d’idée précise de ce que nous voulions faire, mis à part mélanger punk et musique avec des machines. Après quelques essais et un passage au concert de Volition Immanent, le projet a pris forme. Notre volonté a été avant tout de partager ensemble une passion commune qu’est la musique.

Mathieu : Oui, tout s’est fait assez vite, on s’est retrouvé chez moi, on a écrit un morceau vaguement synthpop qui ne nous a pas emballés outre mesure, donc au deuxième essai on a changé notre fusil d’épaule et on a composé Corpus Rebellio, qui était bien plus violent. De là, on a continué sur cette lignée et notre premier EP a rapidement vu le jour.

FEV : D’où vient le nom Leroy se meurt ? 

Volkan : Le nom de Leroy se meurt mélange l’idée d’un secteur industriel en déperdition, dans un monde de plus en plus absurde.
Il y a tout d’abord, une référence évidente à la pièce d’Ionesco, Le Roi Se Meurt.

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Mais également à une entreprise de moteurs et alternateurs électriques basée en Charente qui s’appelle Leroy Somer. Elle a longtemps été le bassin d’emploi d’Angoulême et de ses alentours. Depuis les années 2010 et comme pas mal d’entreprises de la métallurgie, elle enchaîne les plans sociaux et les reventes/rachats par des fonds d’investissement étrangers.

is-leroy-somer - Les Moteurs Électriques Arnel inc.

FEV : Vous pouvez nous en dire plus sur Makine Kültürü, votre troisième EP ?

Mathieu : Yes ! 3ème EP, que l’on a enregistré quasi exclusivement à distance, chacun de notre côté car nous l’avons écrit principalement entre mars et mai 2020, en plein confinement donc. Étonnamment ça a bien fonctionné, on discutait beaucoup pour définir quelle orientation devait prendre chaque morceau, que ce soit au niveau de l’instru ou du chant, et le confinement nous a laissé énormément de temps à combler que l’on a mis au profit de ce 3ème disque.

On avait quand même pu se mettre d’accord sur pas mal de points avant de démarrer l’écriture. On voulait par exemple inclure des éléments acid, avoir des patterns de drum syncopés caractéristiques de l’electro, avec des kicks qui font un long boooooom et des snares qui sonnent comme des coups de fouet. De mon côté je venais d’acheter un sampler et c’était la première fois que je pouvais travailler avec des samples. Ça ne se ressent pas forcément dans le résultat final mais ça nous a ouvert de nouvelles possibilités que l’on exploite encore plus maintenant dans les nouveaux morceaux que l’on écrit.

On voulait que ce disque soit lié aux 2 premiers tout en proposant autre chose, quelque chose de nouveau à notre échelle. Voir comment on pouvait s’approprier certains éléments et les inclure dans notre son pour élargir notre palette de possibilités. Je pense que c’est d’ailleurs ça la motivation principale qui dicte chaque écriture de Leroy Se Meurt, on essaie toujours de faire quelque chose que l’on n’avait pas fait avant. Ça peut être des petites choses, comme inclure un sample de funk au milieu d’un morceau très bourrin, ou alors une contrainte qui va conditionner tout le morceau, comme remplacer les synthés par des samples de vrais instruments ou jouer à un tempo frôlant les 200bpm.

Mais on veut quand même que les morceaux rentrent dans le canevas qu’on a commencé à tisser jusqu’ici. Par exemple je viens d’écouter l’album Infest The Rats’ Nest de King Gizzard. Cette fois ci ils font une espèce de trash à la Metallica qui sonne super, mais qui contraste beaucoup avec le disque de rock psyché qu’il avait sorti 6 mois avant. La démarche est top, rien à dire, mais on vise plus des choses qui sont à notre portée plutôt qu’un grand écart entre 2 styles.

 On a aussi travaillé avec un autre label pour ce 3ème disque : Lux Rec, qui est Suisse et qui publie beaucoup de belles choses depuis 2010. C’était un plaisir de bosser avec eux et de pouvoir ranger notre disque aux côté des autres sorties du label que l’on adore.

FEV : Que veut dire “Makine Kültürü” ?

Volkan : C’est du turc. Makine Kültürü se traduit tout simplement par “La culture des machines”. C’est aussi le nom de la deuxième track de l’EP. Les paroles sont issues d’un texte de Nietzsche : La critique de la culture des machines.

FEV : Brièvement, comment se passe le processus de composition et de recording ?

Mathieu : Moi je m’occupe des machines. Généralement je démarre un truc avec ma boite à rythme et un ou deux synthés, puis je le partage à Volkan. De là on prend des décisions, si c’est pas mal on discute de comment les choses peuvent évoluer, quelle direction peut prendre le morceau, quelle histoire on veut raconter, comment on va pouvoir placer la voix…

Volkan : Quand on a terminé l’instru, on se rejoint chez chez moi à Château Rouge et on fait les voix  (au grand plaisir de mes voisins haha).

FEV : Vous chantez beaucoup en français. Pourquoi, qu’est-ce que vous aimez dans cette langue ?

Volkan : Nous alternons nos morceaux entre le français et le turc. Tout simplement parce qu’on trouve que les textes sonnent mieux dans ces deux langues. Je dis bien sonner car la voix est noyée dans l’instru et beaucoup de gens ne distinguent même pas quand c’est du français ou du turc !

 Mathieu : Chanter en Français ou en Turc c’était important pour nous et ce sont deux langues assez peu présentes dans les scènes où on évolue. Et puis ça fait du bien d’entendre des textes que l’on comprend sans avoir à faire l’effort de traduction.

FEV : Vous aussi vous avez fait du latin en 4eme ? C’était de bons souvenirs ?

Héhé, non même pas, disons que pour le titre Corpus Rebellio (le seul en latin), ça a plus de gueule que “Rébellion du corps”.

FEV : Le chant étant en retrait dans le mix de vos morceaux (un aspect un peu batcave) on a parfois du mal à comprendre l’intégralité de ce que vous dites. Vous pouvez nous en dire plus ? Quels sont les thèmes que vous aimez aborder dans vos sons ? 

Oui effectivement, le chant est pas mal en retrait, au profit des machines. Ça permet 2 choses :

  • De combler des lacunes de production ;
  • De donner un côté plus dansant aux morceaux ;

C’est pas facile de faire sonner une voix correctement et ça demande pas mal de confiance pour mettre le chant en avant. Sur notre premier EP c’est encore plus flagrant, des fois les hihats sont devant la voix de Volkan. Mais au final ça rend souvent bien, on n’est pas déçus du résultat et même avec un texte excellent et une production professionnelle, pas sûr qu’on choisisse de mettre la voix en avant.

Maintenant c’est aussi quelque chose auquel on fait gaffe. Avec le temps on a trouvé nos marques, et, l’envie de mettre la voix en avant sur certains morceaux se fait parfois sentir. C’est notamment le cas pour la reprise de Absolute Body Control qu’on a récemment enregistrée pour Oraculo Record. La voix de Volkan est quand même bien devant et on comprend le texte (en anglais à 90%).

FEV : Dans  »Baptême du mépris’’ il semblerait que vous vouliez mettre des coups de sexes dans la bouche mais à qui mettez-vous des coups de sexes ?  C’est pas très sympa ! 

Volkan : Nos textes sont des conglomérats de vers issus de poèmes d’auteurs qu’on aime bien. Nous empruntons et mélangeons des textes de poètes tels que Breton, Öktem, Khayyam,… Celui-ci en particulier est issu du recueil d’Antonin Artaud Suppôts et supplications. Souvent le sens est délaissé au profit de l’impact de certains mots. Et pour le coup, cette partie du morceau fait son effet ! Mais en temps normal, on est des gentils, on ne fait de mal à personne…

Mathieu : Oui quand on dissèque des poèmes, on prend ce qui nous intéresse, puis quand on en a assez on voit ce qui rentre dans le morceau. Il y aura toujours une ligne directrice, mais le sens direct est parfois compliqué à saisir.
Dans ce cas précis, l’histoire du sexe dans la bouche, c’était étonnant de lire ça dans un poème d’Artaud et on s’est demandé si on allait le mettre dans le morceau. Je ne sais plus trop pourquoi on a décidé d’inclure ce texte mais on est visiblement pas les seuls que ça a marqués ! 

Dans tous les cas, si coups de sexes il doit y avoir, ce sera pas sans le consentement du/de la concerné.e.

FEV : Une question un peu externe. De l’EBM à la techno, à la coldwave, au grunge, au black metal…  personnellement, on aime bien utiliser le mot “punitive” pour qualifier ces musiques. Et, pour nous, la vôtre en fait clairement partie ! Vous faites de la musique “punitive”. Qu’en pensez-vous ?

Volkan : Mathieu utilise déjà beaucoup ce mot-là ! Le fait que ça soit frontal, c’est quelque chose qu’on recherche, autant au niveau instru, des paroles, que visuellement. 

Mathieu : Il doit y avoir une ligne « punitive » autour de notre musique. Des fois on surfe dessus, mais des fois non ! Notre dernier EP est moins punitif, par exemple. Ou alors c’est « désamorcé » avec des choses plus dansantes. On privilégie aussi parfois un certain ‘’groove’’.

Volkan : Si tu donnes 100% de punition, c’est trop frontal. Récemment on écoutait Umwelt, Destruction libératrice. C’est ultra groovy ! Mais t’as l’impression d’être compressé dans toute la basse qu’il t’envoie. Conjuguer les deux est intéressant.

FEV : Est-ce qu’on peut dire qu’il y a un côté « SM », dans « LRSM » ?

Mathieu : En tout cas on préfère qu’il y ait un côté SM, qu’un côté LREM !

Volkan : On avait joué à la Pointe Lafayette, Victor de Buddy Records avait écrit LREM sur l’affiche… *rires*

FEV : C’est quelque chose que vous pouvez assumer le SM ?

Mathieu : Pour l’anecdote, l’an dernier, on cherchait des dates, on avait une date de prévue à Berlin. On cherchait à jouer autour, et de fil en aiguille, quelqu’un nous a filé le contact d’un club SM, à Hambourg. C’est pas un monde qu’on fréquente, même s’il est hyper présente dans les représentations des musiques qu’on vient de citer. Je suis personnellement pas du tout branché cuir… Mais, de par nos goûts avec ce qu’on aime dans la culture et l’art on est assez proche du SM. Finalement, le concert dans ce club SM ne s’est pas fait (dommage !) ça aurait été vraiment chouette de se retrouver là-dedans, jouer un concert au milieu de types pour lesquels tu es un peu « accessoire »… d’être la bande son ! Être le groupe qui fait partie des meubles, qui donne l’ambiance. Si on a l’occasion d’y jouer, ça serait super cool.

FEV : Qu’est-ce que qui vous intéresse dans le fait de créer une musique ‘’punitive’’ ? Qu’est-ce que les gens peuvent aimer dedans selon vous ?

Volkan : Ma personnalité est pas comme ça d’habitude. Je suis assez peace en réalité (ça en surprend plus d’un après nos concerts !). Moi ça me permet de me défouler, de sortir une part de moi, qui peut être vénère, vicieuse, frontale, que normalement je ne sors pas, un côté un peu nihiliste. A mon avis, à l’écoute de ce genre de musique, on recherche ça : explorer une partie de soi-même qu’on n’explore pas en temps normal dans la vie de tous les jours. Personnellement, c’est mon cas.

Mathieu : Le fait de se sentir tout petit, écrasé par une musique colossale, répétitive, lente, où tu as bien le temps de te faire rouler dessus par la machine… On retrouve ça dans d’autres genres : le doom métal, la techno auto routière qui bourrine pendant 20 minutes avec un bon kick… La répétition et la lourdeur, c’est un des composant de ce qui plaît. La punition c’est ce que je recherche, ou plutôt l’avilissement, le nihilisme. Mais encore une fois, nous, on n’est pas vraiment les meilleurs représentants de cette musique qui bastonne et où tu ne peux plus rien placer d’autre dans le mix.

Volkan : Les gens recherchent cette violence, ils attendent de se lâcher, pogoter, ressentir cette violence qu’ils reçoivent et leur permet de se libérer.

Mathieu : Tu peux garder un côté punitif, et en même temps un côté qui te permette de danser.

FEV : La danse, c’est une récompense ? Il n’y a pas que de la douleur finalement…

Mathieu : Oui on peut dire ça ! 

FEV : Quelles sont vos influences en EBM ou genre apparenté ? 

Mathieu : Mes groupes EBM favoris resteront certainement les pionniers du genre, les inconditionnels belges Front 242 et Klinik, DAF et Liaisons Dangereuses en Allemagne et Nitzer Ebb pour avoir la quinte flush. Si il y a de la place je rajoute Skinny Puppy pour le côté très dark et cauchemardesque.

Toujours dans les classiques mais plus récent, j’adore Le Syndicat Électronique et plus globalement tout ce qui est paru sur le label de A// : Invasion Planète. C’était vraiment le début de la renaissance minimal/ebm/electro/synthpop et toutes les sorties étaient de qualitée. Je pense que ce label a été un exemple pour les futurs Mannequin, Dark Entries ou Minimal Wave pour ne citer que les plus gros.

Après nos influences comptent énormément de groupes à guitares, que ce soit dans le punk, le post punk, le metal et les myriades de sous-genres qui peuvent découler de ces 3 chapelles. En ce moment c’est d’ailleurs ce que j’écoute le plus, je me suis replongé dans la discographie d’Al Jourgensen (Ministry), je redécouvre Big Black et je rattrape mon retard sur des classiques ou des sorties récentes en Black Metal. Quand je veux entendre quelques synthés j’écoute Not Waving et Container qui sont surement parmi les plus rock’n’roll de la scène électronique actuelle.

FEV : D’autres groupes à nous conseiller ? 

Mathieu : Dans ce qui existe aujourd’hui, je pense qu’il faut écouter les Allemands trop méconnu de « En Direct », qui n’auraient d’ailleurs pas fait tache sur Invasion Planète, les punks de Volition Immanent, Broken English Club ou Maoupa Mazzochetti.

FEV : C’est probablement pas la musique de cave à chauve souris qui vous permet de faire votre épicerie, c’est quoi vos plans pour gagner de la thune sous covid ? 

Mathieu : Moi je suis développeur informatique. Avec le covid je peux quand même travailler à distance et je n’ai pour l’instant pas eu de problème de boulot lié à la situation. J’espère que ça va continuer…

Volkan : De mon côté je bosse dans une boîte en tant qu’ingénieur gestion des risques et impacts environnementaux. Avec la crise actuelle, mon activité à pas mal augmenté et j’avoue avoir peu ressenti les confinements.

FEV : Dernière question, et non des moindres : est-ce que vous êtes forts et virils ?

Notre musique n’a pas encore été adoptée par les salles de muscu mais j’ai quand même envie de croire qu’on est un peu forts et virils, même si des fois les titres sont en latin.