On croisait Yannick ici et là avec ses bacs dans les soirées dont le nom commence par le pré-fixe « post », pour fournir aux fétichistes de vinyles leurs doses. Afin de mieux comprendre comment ce dernier gère seul son label Voice Of The Unheard on est allé lui poser quelques questions, l’occasion de mieux comprendre comment un label fonctionne.
Fev : Salut Yannick ! Est-ce que tu pourrais nous parler de ton parcours ?
Yannick
Je viens de Bordeaux à l’origine, ça fait que 3 ½ ans que je suis à Paris. J’ai commencé le label car je voyais pas mal de concerts et je me suis demandé ce que ça faisait de voir l’envers du décor. Et il y avait un groupe que je voulais voir à tout prix qui cherchait une date et personne ne pouvait les faire jouer à Bordeaux.
Fev : Quel groupe ?
Sofy Major. A l’époque c’était un groupe de Post-HC, maintenant ils font du gros stoner. Les mecs sont très sympas et je les ai contacté via MySpace.
Fev : MySpace, ah oui ça date !
Oui c’était en 2010 ! Du coup j’organise leur show en janvier 2010. À force d’organiser des concerts, tu commences à te faire des contacts.
Par exemple, j’avais fait jouer Lost in Kiev une fois à Bordeaux avant de les aider à sortir leur disque du coup on est devenu pote et quand ils ont voulu sortir leur premier disque en vinyle, je leur ai proposé mon aide.
On l’a sortie en co-prod avec le label Dunk!. C’est pas mal le mec de Dunk qui a géré le truc vu que je venais de commencer et j’ai pu apprendre par ce biais-là. Puis en fait dans ce milieu, une fois que tu fais un disque/concert, les gens te connaissent, tu reçois une tonne de mail et la machine est lancée.
Fev : Les groupes qui ont suivi comme LIK ce sont des groupes que tu es allé chercher ou des groupes qui t’ont envoyé des mails ?
Un peu des deux. Le deuxième c’était Sport pour la réédition de leur album, et c’était pareil on était en contact car je les ai fait jouer à Bordeaux et quand ils ont voulu represser leur album, j’ai dit oui !
Fev : Donc c’est au feeling humain et musical ?
Ouais un peu, après il y a des groupes que je n’ai pas rencontrés du tout et c’était uniquement musical. Mais quand c’est des potes ça donne d’autant plus envie. Par exemple Dark Days, eux c’est des potes de Bordeaux. Surtout que leur dernier EP est vraiment hyper bien !
Fev : Quand tu bosses avec des groupes tu t’intéresses uniquement à la distribution ou aussi à l’aspect créatif en amont ?
Je m’occupe que du physique. En général quand les groupes viennent me voir tout est déjà enregistré/mixé/masterisé. Il y a certains labels qui prennent part au processus créatif comme Elusive Sound. Par exemple, Peter (le gérant du label Elusive) va s’impliquer et bosser tôt avec les groupes, ce qui fait que le label a peu de groupes mais qu’ils les suivent à fond, même pendant l’enregistrement et la production. Moi je n’ai pas l’oreille pour ça, j’écoute un truc et je me dis « ouais ça me parle » ou « ça ne me parle pas plus que ça ».
Fev : Tu t’es spécialisé dans les vinyles, qui est le seul format que tu sors, tu peux nous expliquer pourquoi ?
Au départ j’achetais énormément de CD. Puis un jour un groupe que j’avais fait jouer a laissé quelques vinyles chez moi. A cette époque, je n’avais pas de platine. Je regarde le disque, et il était superbe, avec une couleur orange transparente et des marbrures noires. C’était vraiment différent et plus beau que les CD.
Les CD ont l’avantage d’être pratiques et parfait pour écouter dans la voiture, mais niveau esthétique ce n’est pas au niveau d’un vinyle avec leurs boites plastiques. Du coup j’ai eu ce coup de cœur et c’est à partir de là que j’ai commencé à acheter des vinyles.
Puis le vinyle a ce coup de base qui est élevé, et c’est plus compliqué pour un groupe de sortir le vinyle eux-mêmes, car c’est très cher alors que pour un CD c’est plus abordable et le groupe peut le faire seul.
Fev : Tu as mentionné Elusive Sound qui est un label qui fait un gros travail pour sortir des vinyles très esthétiques. J’ai l’impression que tu essayes de faire pareil.
Quand je peux ouais, je suis sensible à ça, car quand tu ouvres la pochette et que tu te dis « Wow ! » ça vaut le coup. Le groupe Tang par exemple avec l’EP And Still No Sunrise, je suis super content du rendu avec cette sérigraphie sur la face B. On l’a fait sur une seule face vu que c’est un EP, et on a profité du fait que le vinyle soit transparent pour faire quelque chose de joli avec cette sérigraphie sur ce côté.
Fev : Les coûts ne sont pas trop durs à assumer pour un label tout seul ?
C’est compliqué oui, du coup on fait des co-prod avec plusieurs labels en général. Et chacun se retrouve avec 50 vinyles par exemple. Au final c’est de l’argent, mais pas tant, souvent autour de 300 €. Quand tu fais ça tout seul le coût de base pour 300 copies en couleur et tout c’est 1500 €. Et là pour le Tang avec la sérigraphie et l’effet on a passé les 2000 €. À moins d’arriver à les écouler vraiment c’est compliqué d’en faire beaucoup financièrement.
Fev : Comment ça se passe avec les groupes du coup quand tu écoules tous les vinyles et qu’il y a un bénéfice ?
Les deals dépendent de chaque groupe. Quand je le fais tout seul, il y a une partie des vinyles qui vont aller aux groupes pour qu’ils puissent les vendre en tournée puis le reste je les vends en ligne. Après pour certains groupes comme Lights & Motion, il en a vendu de son côté, moi du mien, mais ce n’était pas très clair pour les gens que l’album était distribué par mon label. Et quand lui n’en avait plus les gens ne savaient pas qu’ils pouvaient en acheter chez moi.
Du coup pour la prochaine release avec lui l’idée ça aurait été de faire tout passer par le label et lui il récupérerait un pourcentage, mais je n’ai jamais bossé comme ça. En général c’est plus la première option.
Fev : L’absence de concert, ça t’impacte ?
Pour le moment je ne suis pas trop impacté. Ce qui est compliqué c’est que chaque année il y a des choses comme le Post in Paris ou je sors mes bacs et les gens viennent acheter. Là dessus il y a un manque à gagner, car c’était de l’argent qui potentiellement aurait pu financer d’autres pressages.
Après moi je vends surtout en ligne donc ça va, pendant le confinement c’était compliqué, mais là les gens rachètent. Les délais de pressage sont un peu ralentis, mais ça tourne quand même. Après dans cette scène là avec des mecs dont ce n’est pas le boulot premier c’est moins impactant.
Fev : J’ai vu que tu étais chez Supersonic Records (disquaire parisien), tu es distribué dans d’autres disquaires ?
En fait j’ai rencontré le disquaire de Supersonic Records à Rock en Seine et on a sympathisé.Il me disait que lui son objectif était de mettre en avant des labels indépendants en plus des sorties un peu plus grosses. Et donc de faire des bacs avec toutes les sorties d’un label. Lui il était chez un disquaire à Belleville (Penny Lane) puis quand ça a fermé il a fondé Supersonic Records.
Après j’ai pas tellement d’autres disquaires qui me distribuent, il y a Music Fear Satan avec qui je fais parfois des échanges car ça colle pas mal à mon style.
Fev : Tu avais distribué Metronome Charisma dont les membres ont ensuite fondé Year Of No Light qui est sur Music Fear Satan, comment ça s’est passé avec ce groupe ?
C’était un groupe de Bordeaux et un des premiers que j’ai découvert dans ce style-là (Screamo) et j’avais pris une énorme claque. J’ai contacté le groupe, car ils avaient ressorti leur album en digital et lancé une campagne de crowdfunding pour faire leur vinyle. Je leur ai donc proposé de le sortir et de le prendre en charge financièrement pour éviter qu’ils payent une commission pour la plateforme. Et c’est comme ça que ça s’est fait.
Fev : Tu as déjà fait ça pour un autre groupe, repiocher un album qui est sorti pour le ressortir en vinyle ?
Non pas tellement. Il y a eu Tang dans ce cas là, car on s’est rencontré à un concert à Bordeaux et on a sympathisé. Et à l’époque ils me disaient qu’ils avaient deux morceaux à sortir et moi c’était les débuts du label donc j’ai dit « oui, je suis chaud » et je l’ai sorti même si ça a pris des années.
Et je me suis toujours dit que j’aimerais sortir leurs albums d’avant si j’avais un peu de sous car ils m’avaient marqué, mais ça ne s’est pas encore fait, car je n’ai pas eu assez de roulement sur mes autres sorties pour financer un tel projet.
Fev : Tu as des groupes lyonnais, bordelais et énormément de groupes italiens, c’est important l’emplacement des groupes pour ton label ?
L’emplacement je m’en fous un peu ça, marche surtout au ressenti, si le truc me plait, peu importe où ils sont. Les groupes italiens ça vient d’une de mes premières sorties, un album de Winter Dust que j’avais fait jouer. Comme ils sont italiens, plein de groupes italiens ont commencé à m’envoyer leurs albums en pensant que j’étais italien. En fait un groupe en amène d’autres.
Fev : Dans ton label tu indiques clairement la couleur niveau genre : screamo/post-rock/post-hc. C’est important que le label reste cantonné à ces genres ?
Ouais c’est important pour moi que les gens sachent que le label est spécialisé dans ces genres. Après j’écoute énormément de chose mais j’ai déjà de nombreuses sollicitations sur ces styles et si tu commences à dire oui à d’autres genres ça va attirer plus de groupes. Et vu que je n’aime pas dire dire non, je préfère éviter ça. Donc j’essaye de garder une petite cohérence esthétique même si dans la distro c’est plus varié.
Fev : Est-ce que tu peux expliquer la différence entre distro et label ?
Alors label c’est vraiment les disques que je finance dès le départ, soit tout seul, soit en coprod. Et en distribution ça va être des échanges avec d’autres labels puis je vais les vendre mais ce n’est pas sorti par moi à l’origine.
Quand c’est ton label, tu vas avoir ton logo sur la pochette mais pas en distro,c’est là où tu peux voir la différence.
Fev : Qui te contacte pour la distro du coup ?
C’est souvent les labels, car ça marche par échange ils disent « ce disque m’intéresse j’aimerai l’échanger avec un de mes disque » et parfois ça va être les groupes. Il y avait par exemple un groupe suédois qui aimait bien le label et qui m’a demandé si je pouvais le distribuer et vu que c’était bien je leur ai dit oui. Et là ça ne marchait pas en échange, ils me l’ont envoyé, je le vends à un certain prix et eux ils veulent tel somme sur chaque copie.
Fev : C’est quoi les nouveautés du label ?
Il y a une coproduction avec un label qui fête ses 10 ans. On a ressorti un album de Puzzle (groupe de post-rock de Laval) et on a sorti pour la première fois en vinyle leur album.
Sinon il y a un groupe de Lille de screamo acoustiques du nom de Loren Ipsum. La seule guitare qu’il y a est acoustique avec piano violon sans batterie, mais avec un chant screamé.
Il va y avoir un groupe du Danemark, Nordsind, que j’avais eu en distro via un label avec qui j’avais fait un échange, pour distribuer leur ÉP. Quand ils m’ont proposé l’album j’ai dit oui direct sans écouter, car j’avais adoré l’EP !
Et un groupe américain Closer qui est plus screamo/hardcore qui sortira en coproduction avec un label allemand, je pense qu’ils ont déjà un label aux USA et qu’ils veulent un label en Europe pour tourner ici.
Et je vais sortir le nouvel album de Show Me a Dinosaur. J’ai été contacté par un des membres qui m’a demandé si j’étais intéressé pour les aider sur la sortie de leur nouvel album, parce que Elusive ne pouvait pas s’en occuper. On est pas mal en contact avec le label Elusive, du coup ils avaient renvoyé le groupe vers mon label, étant donné qu’ils vont arrêter les sorties à la fin de l’année. J’ai pas hésité, l’album est mortel, je suis impatient que le vinyle soit prêt.
C’est assez hallucinant de voir comment les gens suivent ce groupe, j’ai déjà eu plusieurs personnes, et encore régulièrement, qui m’envoient un message pour savoir quand est-ce que ça sera en vente.
Fev : Est-ce que tu as sorti ou reçu des mails d’autres groupes dans la veine de « Sport », c’est rare de voir des sorties midwest emo en France ?
Il y a Valley et Traverse aussi dans une veine un peu plus punk.
Fev : Comment tu gères l’évolution avec les groupes surtout quand les groupes deviennent assez gros comme LIK (sur Pelagic Records maintenant) ou Fall of messiah ?
Bah LIK c’est des copains donc c’est plus simple, je les ai accompagné en tournée en Europe, c’était très cool j’ai pu prendre mes disques. Après ce n’est pas moi qui les ai lancés je leur ai juste filé une coupe de main. Il y avait déjà Dunk sur le coup donc ça fait de l’exposition.
Fall of Messiah c’était une petite co-prod au départ et ils ont énormément tourné, ça a bien plu et tout le monde a trouvé ça mortel. Puis après le label d’origine (Holy Roar) a voulu faire l’album d’après tout seul.
Fev : Tu ne fais pas de marketing auprès des groupes ?
Ah je ne fais pas de marketing, j’ai déjà du mal pour mon label, envoyer à des webzines, inciter les gens à acheter les disques ça ne m’intéresse pas trop. Je pars du principe que c’est une passion et une entraide avec les groupes, ça les aide à avoir un peu de visibilité. Si après ils arrivent à signer sur un gros label je suis le premier heureux.
Fev : Et c’est pas trop galère de gérer tout ça tout seul ?
J’ai des coups de mains quand même. J’ai un pote qui m’aide depuis que j’ai commencé à organiser des concerts avec la partie graphique, c’est lui qui m’a fait le logo et quand il y a besoin d’aide pour la créa sur les pochettes, des flyers, des affiches il est toujours là pour m’aider. J’ai aussi d’autres coups de mains par exemple pour le tote bag, le dessin a été fait par une amie aussi. C’est moi qui suis au centre du truc mais j’ai quand même des aides donc je suis pas tout.
Fev : C’est vrai que tu as pas mal de sorties à ton actif. Depuis quand existe le label ?
Depuis 2013, et cette année il y aura la cinquantième sortie sur le label.
Fev : C’est un très gros rythme, surtout avec un travail à coté ! Et tes prix sont assez bas, on dirait vraiment que tu as une démarche de passion et pas du tout de commerce. Tu peux nous en parler ?
J’essaie vraiment de faire des trucs par ce que ça me plaît et de pas avoir à me poser la question de si ça va vendre ou pas, si le groupe va tourner. Si tu fais ça tu ne réfléchis plus la musique de la même façon et c’est pour ça que c’est bien comme ça, à ne pas avoir ce coté commerce. J’ai mon taffe à coté qui me permet de sortir des disques de façon cool et sans prise de tête, et si telle ou telle sortie doit coûter des sous c’est pas grave. Du coup je suis vraiment libre comme ça.