Powertrio de Montréal, Bécyk Fantôme, avec sa discographie forte de non moins neuf sorties variées, entre EPs et enregistrement de jams, occupe à nos yeux la place de digne représentant du math-rock made in Québec. Une scène plutôt ignorée des oreilles françaises trop occupées à réécouter les albums de Pneu (il faut dire qu’ils sont bons !). Et comme c’est aussi « le band du frère de l’ami du guitariste d’un de mes groupes », l’interview était inévitable ! On n’a pas été déçus, puisqu’on a découvert trois mecs vraiment sympa, bons vivants, et avec de vraies valeurs (comme la défense des droits des cyclistes).
Afin de montrer que l’on peut à la fois vivre dans une région où il fait -20° l’hiver et faire du rock polynomial, nous avons échangé avec Bécyk Fantôme. L’occasion de mieux comprendre ce que c’est que de faire du math rock en 2020.

INTERVIEW

FEV : Salut ! En premier lieu pouvez-vous présenter qui fait quoi dans le groupe et comment a commencé l’aventure Bécyk Fantôme ?

Max (Batterie) : Moi c’est Max et je joue du drum. Fabio, Jared et moi sommes des amis de longue date. On s’est connus au Cégep du Vieux Montréal dans le programme d’animation 2D en 2001.           

Jared (Guitare) : Bien le bonjour je m’appelle Jared et je joue de la guitare. Avec Max j’étais dans un band qui s’appelait Les Bois Francs. Au début on était quatre avec mon ami Pier-Luc à la guitare également et Wood (un vétéran de la scène locale) à la basse. Un moment donné Pier-Luc est reparti vivre à Baie-Saint-Paul et on a continué en trio. Quand notre bassiste Wood est également parti on a décidé de continuer mais sous un autre nom vu que la moitié du band était plus là.

Fabio (Basse) : Je joue de la basse. Je sais plus trop comment ça s’est passé, probablement en allant prendre une bière un moment donné. Ils m’ont dit qu’ils avaient plus de bassiste, j’ai dit que j’aimerais bien m’essayer (Je jouais déjà de la guitare) … je suis allé m’acheter une basse et on a commencé.

FEV : D’où vient le nom “Bécyk Fantôme” ? Vous indiquez que c’est de l’argot pour parler d’un vélo fantôme, mais qu’est-ce qu’un vélo fantôme au juste ?

Jared (Guitare) : C’est un hommage à ces vélos peinturés en blanc qu’on installe là où un(e) cycliste s’est fait frapper.

Encore combien d'autres vélos fantômes à Montréal ? | L'aut'journal
Exemple de vélo fantôme

FEV : Êtes vous cycliste ?

Jared (Guitare) : J’ai fait du bmx pendant plus de 20 ans et j’ai toujours travaillé sur des bicyclettes (mon bon papa m’a partagé cette passion, merci papa).

Max (Batterie) : Ça va faire bientôt 20 ans que je me balade dans les rues de Montréal à vélo. C’est mon moyen de transport préféré 🙂 .

Fabio (Basse) : C’est aussi un moyen de transport que j’utilise !

FEV : Comment se passe le processus de composition pour des morceaux aussi long et mathy que ceux de Bécyk ?

Jared (Guitare) : On compose nos morceaux de manière assez démocratique. L’un de nous trois va arriver avec un riff ou deux ou encore un pattern de batterie et on extrapole à partir de ça.

Fabio (Basse) : C’est assez organique, on jam ça en loop le temps que tout le monde soit relativement confortable avec les riffs, on essaye de les enchainer, on s’enregistre pour écouter avec un peu de recul, chacun revient avec ses idées et propositions, puis on rajoute des petites transitions pour lier tout ça ensemble de façon relativement cohérent.

FEV : On a remarqué que vous enregistrez et mixez la majorité de vos sorties, comment ça se passe pour l’enregistrement du coup ?

Jared (Guitare) : On a une préférence pour une bonne vieille session live. Ça donne une certaine spontanéité à nos morceaux et c’est aussi beaucoup plus rapide à sortir. Ensuite on se gâte en ajoutant quelques overdubs par-ci par-là (comme des maracas, du hangdrum et beaucoup de feedback). Vu qu’on enregistre dans notre local de pratique, on doit se timer avec nos voisins qui font du métal (on a sûrement quelques blast-beats dans le background de certains morceaux !).

Fabio (Basse) : J’aime qu’on fasse des takes live, c’est rapide ! En même temps j’aime qu’on enregistre au local parce qu’on peut prendre notre temps, pas besoin de se presser comme au studio studio… on n’a pas le stress de devoir réussir la take parfaite tout de suite.

Max (Batterie) : J’ajoute que c’est Jared qui fait le son. Il s’occupe des micros, de l’enregistrement et du mix pendant que Fabio et moi on se réchauffe. Il est vaillant.

FEV : C’est comment de faire de la musique instrumentale progy au Québec ?

Jared (Guitare) : C’est bien correct! On fait nos affaires et si on a une bonne réception tant mieux sinon c’est pas plus grave que ça !

Max (Batterie) : On joue la musique qu’on aime. Je constate qu’il y a de plus en plus d’appréciation pour ce genre.

FEV : Est-ce que vous essayez de dire quelque chose à travers votre musique ou est-ce que vous vous en foutez complètement ?

Jared (Guitare) : Il n’y a pas vraiment de message en tant que tel mais on essaie d’avoir un mood ou une narration dans nos morceaux. Par exemple, pour moi, la première partie de ‘’Ficeller le docteur’’ me fait penser à quelqu’un qui  »strut » (se pavaner) dans la ville en saluant les passants.

Max (Batterie) : Ouais, c’est comme des images musicales. Le titre des compos donne aussi parfois le ton de ce qu’on veut exprimer. Par exemple, la toune ‘’Il n’y a plus personne’’ me donne le feeling d’être tout seul dans une station de métro après l’heure de fermeture.

Fabio (Basse) : On n’aurait probablement pas choisi de faire de la musique instrumentale si on avait des choses très important à dire, y’a des façons pas mal plus directes de communiquer. C’est vraiment juste de la musique pour le plaisir de faire de la musique ! Mais ouais l’approche c’est un peu de suivre un mood, créer une ambiance, des fois on a le titre avant d’avoir la composition et ça nous enligne un peu… des fois non. J’avais jamais entendu parler du gars qui se promène en saluant les passant ! Ça dépend vraiment des tounes.

FEV : Quand estimez-vous que, ça y est, un de vos morceaux est terminé ?

Jared (Guitare) : Un moment donné on se dit  »Bon là ça suffit !  »

Fabio (Basse) : À force de jouer la toune et d’essayer des trucs on finit par trouver ce qui marche et après un certain temps on la joue toujours pareil, à ce moment-là on peut considérer qu’elle est finie.

Max (Batterie) : Les beats de drum que je fais vont souvent changer de rendu en show, alors on pourrait dire dans mon cas que le morceau évolue continuellement haha.

FEV : Qui trouve les noms de morceaux dans le groupe ? Ils me rappellent ceux de Videoville ou de Don Caballero !

Jared (Guitare) : Nous trois ! Chacun arrive avec des idées et on va s’obstiner jusqu’à ce qu’on arrive à un consensus.

Fabio (Basse) : On lance tous des idées et quand on tombe sur un titre qui a une bonne réaction de la part des trois, c’est ça! Des fois on en a des bons qui marchent plus ou moins pour la toune en cours, alors on les garde pour plus tard…

Max (Batterie) : Des fois il y a un pattern, comme dans l’album Topkapi… des fois c’est une sonorité saugrenue qui nous plaît.

FEV : Selon vous, qu’est-ce qu’un bon morceau de math rock ?

Max (Batterie) : Des notes ou des beats inattendus, qui te prennent un peu par surprise sans te choquer…

Jared (Guitare) : J’aime bien la musique qui est complexe sans en avoir l’air.

Fabio (Basse) : Je seconde !

FEV : J’ai vu que vous aviez souvent partagé l’affiche avec les géniaux Videoville, Crabe et Boma Bongo, ça se passe comment les lives de Bécyk ?

Jared (Guitare) : Ce sont effectivement des groupes géniaux ! Ça se passe assez vite. On essaie généralement d’enchainer nos tounes assez rapido-presto avec des interludes de feedback. Avant il m’arrivait de marmonner des trucs au milieu du set mais j’ai la présence de scène d’un vieux labrador épuisé alors on a arrêté ça.

Max (Batterie) : Une fois dans le cadre de Voix-Off à la Vitrola on a utilisé les deux stages en même temps pour accompagner Videoville dans leur dernière toune, c’était nice.

Fabio (Basse) : Le commentaire qui revient le plus souvent c’est que les gens ont l’impression d’assister à un gros jam de pratique juste pour le fun. Je suis content quand on nous dit ça… j’aime bien l’ambiance de nos jam, j’ai du fun à jouer avec ces gars-là, alors c’est cool si les gens ressentent ça aussi.

FEV : Ça se passe comment avec le covid, vous arrivez quand même à composer ?

Jared (Guitare) : Ça a un peu ralenti les choses mais on s’en est sorti pareil. On est juste trois alors c’est facile de garder une bonne et saine distance sociale. 🙂

Fabio (Basse) : À part le long confinement où on pouvait pas se voir, ça se passe assez bien. Pratiquement même mieux de mon côté, en travaillant de la maison, quand je prends des pauses, plutôt que d’aller discuter avec les collègues à la machine à café je peux essayer de trouver des idées et pratiquer un peu…

FEV : Bon l’inévitable question, quelles sont vos influences, groupes préférés etc ?

Jared (Guitare) : Au secondaire mon groupe préféré était les Ramones (le groupe le plus complexe de la terre). Après j’ai pas mal trippé sur Sonic Youth, Unwound, Slint, NoMeansNo, Hella, Do Make Say Think. C’est pas mal ce qui m’a influencé pour ce groupe-ci mais sinon j’écoute pas mal un milliard d’affaires différentes.

Côté band local, Vidéoville évidement. On a fait un paquet de shows avec eux, dont deux mini-festivals qu’ils ont organisés qui étaient vraiment cool. Les Boma Bango sont très underratés, Solids faisaient des concerts de malade et nos colocs de local Yoodoo right sont très forts.

Max (Batterie) : J’ai grandi avec le skate-punk des années 90, NOFX, Lagwagon, Strung Out, etc. Mes influences de musique instrumentale sont entre autres Russian Circles, The Bronzed Chorus, The Advantage, Adebisi Shank, Battles, et Ratatat. En ce moment je suis dans une phase où j’écoute beaucoup de chiptune (Anamanaguchi, Chipzel, les OST de Mega Man) et de retrowave (Dance with the Dead, Pertubator, Carpenter Brut) … ah pis les Vulgaires Machins !

Fabio (Basse) : J’écoute pas mal de tout. Dans le post/math rock j’aime surtout Do Make Say Think et And So I Watched You From Afar. Mais sinon de façon générale : Flaming Lips, Mad Caddies, Kay Kay and his Weathered Underground, Maps and Atlases, RX Bandits, Fred Fortin, Legendary Shack Shakers, Left Lane Cruiser, Hurlement d’Léo, Cowboys Fringants, Tom Waits… Ces temps-ci j’ai pas mal de difficulté à écouter autre chose que Flore Laurentienne.

FEV : Des projets en cours pour Bécyk ?  Avez-vous d’autres projets en parallèle de ce groupe ?

Max (Batterie) : On a un 3e album en cours de composition. On a déjà des idées de titre mais on vous garde la surprise.

Fabio (Basse) : On continue de composer… on fait pas mal ça en permanence. On en parle souvent, mais ce serait cool un jour de se faire un clip en animation… mais c’est de la job !

Jared (Guitare) : J’ai un petit projet solo qui s’appelle Station Namur. Ça me permet d’explorer le médium du 4 track cassette et de pratiquer divers technique d’enregistrement.

FEV : J’imagine que ce n’est pas la cause math rock qui vous permet de payer votre loyer, comment gagnez-vous votre croûte ?

Jared (Guitare) : Je gagne mon pain en travaillant dans le domaine du dessin animé (je fais des petits bonhommes).

Fabio (Basse) : Même chose! On s’est connu à l’école en dessin animé en fait.

Max (Batterie) : On est tous dans le même domaine! C’est sûrement pour ça qu’on est sur la même longueur d’onde.

FEV : Et pour terminer, pourquoi tout est à propos de ce brave Joe Dassin ? (« It’s All about Joe Dassin » est écrit dans la description bandcamp de Topkapi)

Jared (Guitare) : C’est le concept de notre dernier EP ! Chaque titre est un extrait de paroles de Joe Dassin tirées hors de son contexte.

FEV : Finalement êtes-vous Fort et Viril ?

Jared (Guitare) : Je pleure au cinéma.

Max (Batterie) : On est tu obligé ?

Fabio (Basse) : Fort, mes enfants diraient que oui. Viril selon Google (virile :  Propre à l’homme adulte. / Qui a un comportement sexuel normalement développé pour un homme.)  Je dirais définitivement oui.

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est image.png