2020. Ca y est, nous sommes désormais bien lancés dans le tur-fu. Alors si, comme nous, vous avez peur de l’avenir toujours incertain et mortifère, rassurez-vous : chez Fort et Viril, il est encore temps de procrastiner d’avantage en réécoutant les meilleurs albums que notre regrettée 2019 nous a fourni. Voici notre « anti-bilan » , rempli de musiciens souvent eux aussi en proie au doute et à la détresse, qui regroupe les meilleurs albums indé de France et du Québec qui n’ont pas eu leur place dans les bilans mainstreams. Branchez vos enceintes, sortez vos meilleures tisanes, et placez vous délicatement en position fœtale sur votre lit. On vous donne les doudous.

20. Chocolat : Jazz engagé, Dare to Care Records, 1er novembre 2019 (Rock n’roll de poète grivois) //Québec.

On a découvert ce bon chocolat chaud en 2016 à la Mécanique Ondulatoire (RIP), loin de se douter que, 3 ans après, il allait sortir un des albums les plus bordéliques de 2019. Jazz engagé demande une écoute… engagée, et c’est avec plaisir que l’on est prêt à rendre service au Jazz. Les Québécois calment aussi le game niveau punchline façon : « Je suis ceinture noire en poésie. ». Constat que l’on peut vérifier avec ce superbe poème : « Le soleil sur ta joue […] fait des petits prismes doux […] Mon pénis mouillé et mou […] a l’air d’un steamé moutarde choux » . Miam miam !

Piste favorite : Une introduction inutilement complexe

19. Gliese and Kepler : First Ocurrence, Lofish Records, 30 juillet 2019 (Krautgaze) //France

Le groupe porte bien son nom : avec un mélange original de krautrock et de shoegaze, Gliese and Kepler (d’après deux étoiles) c’est une véritable expérience spatiale et psychédélique, façon 2001 : L’odyssée de l’espace. Expérience qu’on raconte juste ici !

Piste favorite : Colors In Euphoria

18. Victime : Mi-tronc, mi-jambe, Michel Records, 3 mars 2019 (No-Dance) //Québec

Au Québec on peut étudier la victimologie mais on peut aussi écouter Victime et ça c’est peut être plus réjouissant. N’avoir qu’une seule jambe et un demi tronc ce n’est pas pratique pour écouter Victime tant le groupe nous fait twerker. Le groupe nous catapulte dans une boite de nuit du Lower East Side de la fin des années 70, le français en bonus mais Lydia Lunch en moins (heureusement).

Piste favorite : Diego

La citation : « Celui qui gagne c’est celui qui finit avec le moins de temps […] c’est celui le plus occupé […] c’est celui le plus épuisé »

17. In Bear Suits : Musicalement,  »produit sans l’aide de personne », 1er novembre 2019 (No Wave) //France.

In Bears Suits, c’est du noise rock joyeux. Alors quand tu vois ces gars-là jouer dans une cave de Paris, le sourire aux lèvres, en train de se dandiner sur des riffs à la Jesus Lizard et sur leurs atonalités, en lançant des vannes sur la start-up nation ou sur le gluten free, c’est le bonheur, plutôt que la culpabilité, qui te prend au cou.

Piste favorite : Not A Song

16. Crabe : Notre-Dame de la vie intérieure, Pantoum Records, 3 mars 2019 (Math-punk pour fan des Fucking Champs) //Québec

Le Crabe est une bête assez monstrueuse muni de deux pinces puissantes, le crabe n’en demeure pas moins très sympathique. Exactement comme le groupe, construit autour du plus vieux duo au monde (guitare/batterie). L’album est explosif mais propose des moments plus contemplatifs ouvrant la porte aux pensées les plus sombre. Écouter Crabe c’est comme soigner ses problèmes perso avec de l’Adderall, ça marche sûrement pas, mais c’est bien le fun.

La citation : « Les amours décalissés, entachent l’hôtel de la Judée, de tous les pays où on aboutit au fil de nos vies. »

Piste favorite : Dans mon fanzine (car on essaye de faire un fanzine aussi).

15. Bison Bisou : Pain & Pleasure, 4 octobre 2019, A Tant Rêver Du Roi (Alt-Noisy Rock) //France

Groovy et noisy, Pain & Pleasure titille les tympans par son usage des dissonances, ses expérimentations sonores et riffs incisifs. Un chant théâtral, capable de se montrer totalement cinglé, blasé ou exalté comme un môme devant une playstation ou à une fin de soirée entre pote où on gigote sans raison, par ce qu’il y aurait quoi d’autre à faire finalement ?

Piste favorite : Dad Tomb

14. Boar God : Forma, Cuchabata Records, 15 janviers 2019 (Choucroutegaze à la Loop)// Québec.

Bel animal que le Forma de Boar God. Ce beau bébé d’une heure six propose un mélange de shoegaze et de krautrock qui rappelle les meilleures heures de Loop (le groupe, pas la pédale). Alors certes voir le dieu des sangliers est plus réjouissant en live mais l’album capte bien l’énergie propre au groupe (petit concert report ici) et on se retrouve vite embarqué dans ce tourbillon fait de golems en thérapie.

Piste favorite : Stray Shadows

13. Leroy Se Meurt : LRSM, 13 mars 2019 (EBM) //France

La musique électronique de Leroy Se Meurt suinte la vieille cave punk. Avec en plus une atmosphère qui rappelle une sorte de crypte hérétique, adepte d’un ancien rituel satanique qui aurait perduré jusqu’à l’ère électronique. Un nouveau projet vraiment radical qui exploite la connexion entre punk et électronique, coldwave et EBM, qu’on ne peut que saluer – et adorer.

Piste favorite : Corpus Rebellio

12. edgar déception : Décès…, Mon Cul, Buddy, OffNoise, etc. 24 mai 2019 (Punk fragile) //France

Oubliez tout. Ecouter Décès…, c’est une expérience transcendantale. Sorte d’incantation ancestrale qui, grâce à des progressions atypiques et des émotions vraiment sublimes, parvient à nous élever par-delà la mort pour faire resurgir la vie : celle d’Edgar, le poisson rouge du groupe. Ou pas, en fait. On sait pas trop, écoutez plutôt par vous-mêmes : Edgar, c’est cool (et un des meilleurs projets de Paris actuels). Sinon, on vous en parle ici !

Piste favorite : Big Fat Train

11. Look Sacré : Salade-Secte, Cuchabata Records, 3 mai 2019 (Doom-pop) //Québec

Look Sacré sont les genres de chums qui te calent un mot compte triple de 9 lettres au scrabble. Petit extrait pour vous convaincre de leurs skills : « Écouter Salade-Secte, c’est se joindre à la  »salade de mots » où se confondent blesser et blessing ». Et le groupe ne maitrise pas que les mots et propose avec leur doom teinté de pop. Une musique lourde à faire capoter un claustrophobe. Si vous aimez la poésie, si vous aimez vous torturer l’esprit pour comprendre le sens d’un objet et si vous aimez Alain Bashung mais aussi Boris, cet album est pour vous.

La citation : « L’illimité a cela de bien : c’est que ça part d’une limite. Dès qu’on transgresse on est en route. »

Piste favorite : Silence et cilice

10. Hélène Barbier : Have You Met Elliott ?, Michel Records, 12 juillet 2019 (Chanson No Wave) //Québec

Hélène Barbier c’est une grosse claque. De maîtrise, d’originalité, d’harmonie… Active depuis 2017 où elle sortait le très expérimental Something, la Montréalaise était déjà une maîtresse de la no wave. Mais avec Have You Met Elliott ?, elle fait même plus : à partir de la no wave, elle parvient à faire une véritable chanson. Et ça, c’est fort.
On vous raconte un de ses lives.

Piste favorite : Country Club

9. Bracco : Grave, Le Turc Mécanique, 22 mars 2019 (Post-punk/EBM) //France

Prenez de la chair animale. Dans un entrepôt. Foutez-y un peu d’essence. Puis, sous acides, respirez l’odeur : voici Bracco. Portait pas vraiment exhaustif, mais bon, ça leur va bien, quand même. Du post-punk électronique charnel, sanglant, hyper sombre et auto-destructeur. Comme on les aime.

Piste favorite : Grave

8. Lungbutter : Honey, Constellation Records, 31 mai 2019 (Riot Sludge) //Québec,

Sûrement l’album le plus putride de la liste. Contrairement à ce qu’évoque son nom, Honey n’à rien d’une charmante jeune fille. C’est un objet dégoutant qui sent la moisissure d’un demi sous sol mal chauffé de Hochelaga. Et pour cause les Lungbutter (« sécrétion » pour les intimes) sont trois briscardes de la scène DIY de Montréal. Construit autour d’une guitare au son terrifiant d’une batterie martiale hyper compressée et d’une voix dont le ton et les paroles rappelle la série Tv Daria, Lungbutter propose un des albums les plus authentiques de 2019.

La citation : « Having a future, making a difference, is it intrinsic ?

Piste préférée : Vile

7. Alber Jupiter : We are Just Floating In Space, 1 mai 2019 (Psych-Kraut Rock) //France

Duo Basse-batterie, les Rennais d’Alber Jupiter maîtrisent à merveille l’art du looper. Leur premier album distille de façon admirable un krautrock entêtant et métronomique, au sein d’une atmosphère psychédélique. A voir en live.

Piste favorite : Uber en colère

6. Cosmopaark : Sunflower, Flippin’ Freaks, 21 mars 2019 (Shoegaze) //France

Formation shoegaze bordelaise estampillée Flippin’ Freaks, Cosmopaark balance son premier EP Sunflower. 5 morceaux plus accrocheurs les uns que les autres, des riffs qui foutent la bonne humeur, et enfin un son super maîtrisé, apte à gentiment faire cracher vos haut-parleurs.

Piste favorite : Trip To The Moon

5. Bleu Nuit, Le jardin des mémoires, Michel Records/Requiem pour un Twister (Indie, Post-punk) //Québec

Le jardin des mémoires ? Trop poético-progressif comme titre… Oui mais non ! En fait, pas du tout. Avec cette batterie post-punk en béton, ces nappes de reverb et de synthé, ce côté psyché-expé mais toujours pop, et des paroles certes chantées en français mais toujours en retrait, comme embrumées … tout s’harmonise à merveille. C’est beau, c’est bleu, c’est nuit… c’est le premier album de Bleu Nuit. Enfin un groupe qui peut revendiquer pleinement l’influence de Joy Division sans se ridiculiser.

Piste favorite : La sauvagerie

4. Birmani : EP3, Cuchabata Records, 10 novembre 2019 (Défonce Francophone) //Québec

23 minutes, c’est le temps que j’ai consacré au sport depuis 2011. C’est aussi le temps de l’exceptionnel morceau de Birmani « Mes démons (me jouent de la crécelle) ». Avec ce troisième EP les trois dudes de Birmani réussissent à faire évoluer le stoner rock vers des territoires plus tortueux que marécageux et le tout en français !

La citation : « à mes bras des grappes de démons à mes neurones mes silences, leurs sermons ».

3. Oiseaux Tempête, From Somewhere Invisible, Sub Rosa, 18 octobre 2019 (Post-rock) //France

C’est avec un plaisir extrême qu’on a écouté le dernier album des Parisiens de Oiseaux Tempête, enregistré (tiens donc) à Montréal. L’album distille un post-rock fidèle à la première vague (ça fait du bien) quasi-cinématographique, sur lequel s’ajoute un spoken word aux paroles glaçantes et magnifiques. On s’imagine tel un clochard céleste errant dans une ville dévastée avec l’espoir d’y retrouver quelques étoiles.

2. Lysistrata : Breathe In/Out, Vicious Circles, 18 Octobre 2019 (Post Everything) //France

Le second album n’est jamais évident. Lysistrata a réussi avec Breath In/Out à trouver le juste milieu entre renouvellement et continuité. Un peu moins instrumental, un peu plus complexe, le trio en dévoile un peu plus sur son identité, nuance la personnalité exprimée sur The Thread, leur premier album.Au fur et à mesure des écoutes, le plaisir vient d’une façon certaine.

Piste favorite : End Of The Line

1. Nüshu : Sexe Étranger, autoproduit, 8 novembre 2019 (Post-Guy Lepage) //Québec

Mettez du math rock, saupoudrez-le par un jeu de batterie époustouflant, ajoutez-y un chant criant des vérités difficiles à accepter, terminez la recette par une pointe de Josée Yvon et vous obtenez Sexe Étranger. Si, comme l’explique le groupe, il est effectivement « difficile de se droguer tout en restant en santé », il est également difficile de rester insensible aux charmes de Nüshu, tant le groupe nous dévoile une musique aussi étrange que séduisante. Sexe Étranger s’impose tranquillement comme l’album le plus créatif de 2019.

La citation : « Donne-moi une chronique dans ton journal, je suis éduquée parce que j’écoute, tout le monde en parle »

Piste favorite : Chevreuil

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Co-écrit avec Manas et Alex Trauty