En ce 29 juin 2019 se tenait au Stade de France le Rockin’1000, dont l’intention n’était nulle autre que de constituer le « plus grand groupe de Rock du monde ». Rien que ça. 1000 musiciens pour 20 reprises de standards rock. Et pour rassurer le rockeur mélomane, quoi de mieux que le parrainage de ce cher Philippe Manœuvre, qui passe auprès du grand public pour la référence incontestable en « rock ». Et ça personne ne pourra venir le lui retirer. Bah oui, il connaît tous les albums des Ramones et Led Zep. Intouchable on vous dit.
L’organisation de cet évènement me laissait un petit goût amer dans la bouche mais devant l’élan d’enthousiasme qu’il suscitait, je me suis dit qu’après tout ce n’était que moi qui étais un vieux con, si des gens s’éclatent tant mieux pour eux.
Cependant, les jours précédant le concert, certaines critiques commençaient à apparaître ici et là. Ah, me voilà rassuré, je ne suis donc pas tout seul ! Mais j’ai vite déchanté en lisant le fond de ces critiques.
Pour les résumer, les reproches adressés au Rockin’1000 concernaient surtout des aspects financiers. Les mille, et même un peu plus, musiciens qui participaient n’allaient être ni défrayés, ni rémunérés, alors même que les places pour le concert étaient payantes. On peut donc imaginer que les organisateurs ont en effet réalisé quelques bénéfices grâce à la soirée. Un peu sur le dos des musiciens et de leur passion.
Mais le problème ne réside pas vraiment là à mon sens. Les musiciens étaient au courant à l’avance, ils n’ont pas été arnaqués et ont fait leur choix en toute connaissance de cause. Finalement, c’est une sorte de deal : les zicos jouaient leur musique, et avaient des étoiles plein les yeux. En échange, l’organisateur se fait une petite marge. Les deux parties y gagnent, c’est juste qu’une partie gagne de l’argent et l’autre uniquement du plaisir. Même si cela a fait enrager beaucoup de gens, je ne trouve pas vraiment ça problématique.
Non, le vrai problème est plus dans l’idéologie musicale que dans l’aspect financier.
Le 29 juin à Paris, comme tous les soirs, il y avait des très bons concerts à voir pour environ 5€ la place. Soit six fois moins que le prix du Rockin’1000. Alors oui, on ne connaît pas toujours l’artiste à l’avance, on n’est pas dans un stade, mais ces artistes qui se produisent sont des personnes qui ont encore des choses à dire AUJOURD’HUI.
Ici, il ne s’agit pas de critiquer les personnes qui sont allées au Rockin’1000 au lieu d’aller dans une cave ce soir-là, mais bien la nature de l’évènement. Il incarne tout ce que la musique devient, du fait d’être facilement consommable par n’importe qui. La musique mise en avant aujourd’hui tend à ne plus être sensible et expressive, mais performative et divertissante.
1000 personnes se sont réunies pour jouer des chansons que chacun connaît déjà. Les conditions, 3 jours de répétitions ne laissaient pas vraiment la place à un show de qualité, et la sonorisation ne pouvait forcément pas rendre hommage à chacune des personnes qui jouaient ce soir-là. Non, l’intérêt c’est qu’ils étaient mille. Voilà.
« Vous n’avez aucun mérite à retirer individuellement du fait que cette salle soit pleine » disait une certaine humoriste à son public au début de son spectacle. J’ai tendance à partager ce point de vue. Par ailleurs, quand on s’attarde sur le choix de la setlist, un autre problème apparaît. La moyenne des années de sortie des morceaux est de 1979. Il y a 40 ans quoi. Le seul morceau de notre siècle qui a été joué est Seven Nation Army ! Le message qu’on envoie donc à des gens qui pourraient apprécier découvrir de nouveaux groupes c’est : « N’essayez pas, si c’est nouveau ça n’a pas d’intérêt ».
Alors ça peut sembler anodin mais c’est ce genre de mise en avant qui fait que ce n’est pas évident de ramener des gens à des concerts de groupes locaux pourtant souvent excellents. Parce que dans la tête des gens, on commence à ancrer que si tu fais du rock aujourd’hui, tu fais de la merde. Si t’es pas signé, tu fais de la merde. Bah non. Je ne parle pas ici de l’aspect « has been », qui ne renvoie qu’à la notion de mode et qui n’a donc pas vraiment d’importance à mes yeux. C’est vraiment l’aspect qualitatif que je tiens à souligner.
Et ça pose un problème dans la consommation de la musique, car même en convention de disques, on tombe sur des bacs entiers consacrés à tous ces classiques, des Stones à Led Zep, déjà pleins aux as si tant est qu’ils soient encore en vie, mais alors pour te trouver ne serait-ce qu’un petit Slowdive, c’est plus compliqué tellement il est noyé au milieu de toute cette masse.
Finalement, les intentions de Rockin’1000 ne sont pas mauvaises en soi mais amplifient une perception passéiste et exubérante de la musique, très éloignée de ce qu’on observe lorsqu’on se ballade dans nos caves et bars préférés. Et il est assez triste de se dire que des auditeurs potentiels ne découvriront jamais ce plaisir simplement par ce qu’on leur suggère que la bonne musique, c’est vieux et forcément connu.