Derrière Great Cold emptiness (GCE) se cache Nathan Guérette, un artiste précoce de 21 ans basé à Montréal. Seule tête pensante de l’unique projet « d’Acadian Black Metal » sur cette planète (on en parle plus loin), Nathan propose une brillante fusion de Doom et de Black en évitant les trop nombreux clichés liés à ces formations. A la fois original esthétiquement et musicalement, GCE commence à se tailler une place de choix dans le petit monde du black metal dopé au synthé, une bonne nouvelle pour Montréal qui manquait cruellement d’artistes originaux opérant dans cette niche.
A la fois fier de ses origines et refusant de faire partie des trop nombreux clones de Lustre (ambient black metal/suède) ou de Judas Iscariot (black métal/USA), le futur s’annonce prometteur pour GCE. On s’est donc posé autour d’une bonne bière pour discuter du futur de GCE , de la modernité et du fait de préférer Ghost Bath quand ils étaient Chinois.
Salut, Nathan, j’ai cru comprendre que tu avais un nouvel album en préparation avec Great Cold Emptiness, est-ce que tu peux nous en parler ?
Oui, il sort en automne 2019, je commence progressivement à diffuser des démos.
Chaque album de GCE contient un thème précis, cela sera le cas pour le prochain album ?
Oui c’est exact. De manière générale je suis influencé par les écrivains réalistes russes comme Tolstoï, un de mes livres préférés c’est Anna Karénine, cela imprègne toute ma musique et les thèmes que j’aborde. Dans mon dernier album « Miles Before I sleep« , le thème était la recherche de sens. Dans le prochain album, le thème sera celui de la trinité. L’histoire suivra celle d’une famille de 3 personnes qui vole en éclats. L’homme a abandonné sa famille, la femme devient maniaque et la fille se retrouve complètement livrée à elle-même, à mesure que chaque morceau progresse la relation mère-fille se détériore.
Est-ce que l’on verra une évolution musicale par rapport aux albums précédents ?
Oui, le son sera plus primal, avec plus d’éléments de Black Metal comme des blasts beat et des trémolos, ce sera moins atmosphérique qu’à mon habitude, mais je garde toujours des éléments de Doom.
Great Cold Emptiness n’a jamais joué live, est-ce que c’est prévu dans le futur ?
Oui. Certains des musiciens ayant participé à mes albums (au chant et à la batterie) pourraient éventuellement m’accompagner en live comme la chanteuse sur l’album de « Miles Before I Sleep » (dernier album de GCE). Sinon je recherche un bassiste, un guitariste et un batteur. Je m’occuperai des claviers.
Il serait donc possible que GCE devienne un groupe !
Oui possiblement, je suis un peu limité sur certains aspects comme pour les chants ou la batterie, mais aussi le mastering et le mixage. Ce qui empêche GCE d’être du calibre d’autres groupes comme Lustre ou Panopticon (Black Atmosphérique/Kentucky).
En parlant de Lustre, GCE semble très influencé par ce dernier.
J’aime énormément Lustre, mais j’ai une relation conflictuelle avec ce qu’il représente. Beaucoup trop de groupes imitent son style, même chose avec Summoning (ambient black metal/Autriche). Il faut que les groupes possèdent une identité propre, pas seulement musicale, mais aussi culturelle, qu’ils représentent une niche, qu’ils ne soient pas « juste » du black métal, j’aime quand il y a quelque chose de plus, des éléments de folklore. Par exemple tu as un groupe de black atmosphérique éthiopien, Nishiarai, qui intègre des éléments de leur culture à leur musique et à leur image, c’est génial et c’est ça que j’apprécie. Je viens du Maine (État Nord Américain proche de la frontière Québecoise) et je vis maintenant au Québec et j’essaye d’intégrer ces aspects à mon identité musicale.
D’où l’appellation « Acadian Black Metal » pour caractériser GCE ?
Exactement, je viens d’une partie très francophone du Maine, ma famille est installée dans cette région depuis 3 siècles. Je trouve que le Maine ressemble beaucoup à la Finlande, beaucoup de lacs, peu de montagnes, le Funeral Doom et le Black métal sont des musiques qui représentent bien cette région. Toute cette région qui part du Québec, qui touche le nouveau Brunswick pour arriver jusqu’au Maine, c’est l’Acadie. C’est à cette culture que je m’identifie.
Tu fais beaucoup de référence à la « modernité » dans GCE, dans quel sens, qu’est ce que tu entends par modernité ?
Modernité au sens du progrès, de la technologie, des grandes villes qui prennent de plus en plus de place et qui détruise la nature. J’ai une certaine aversion pour la « modernité » et je défends un mode de vie autonome ou on se contente du minimum, une vie simple basée sur l’amour de la nature. Ça passe par cultiver son propre jardin, avoir sa petite maison dans la nature, faire sa bière soi-même ! Tout le monde devrait avoir cet élément d’appréciation de la nature, quel que soit l’endroit d’où tu viens
Ça se retrouve dans ta musique !
Oui, parce que je fais tout moi-même.
Et à Montréal comment tu fais avec ce mode de vie ?
Je ne consomme pas beaucoup, je n’ai pas grand chose. J’ai mon ordinateur, mes CD, etc. Dans le Maine j’ai des terres dont je vais hériter. Un jour, j’y retournerai et je les récupèrerai. J’aime l’isolement, le fait de se retirer un peu de la ville, pour moi cet élément-là est prégnant dans le black métal.
Donc isolement et Black métal sont indissociables ?
À mon sens, il est difficile de dissocier l’isolement et le black métal, et beaucoup de gens qui ne sont pas familiers avec ce genre de musique auront du mal à comprendre.
Pourtant le fait de s’isoler, se retrouver seule face ça à la nature ça fait partie de l’ADN de ce genre. J’apprécie les groupes qui intègrent cet aspect, comme Falls of Rauros qui viennent aussi du Maine ou Panopticon qui malgré le fait qu’il soit basé dans une grande ville (Louisville) parvient à garder cette relation privilégiée avec la nature.
Dire que s’isoler permet de mieux comprendre le black métal peut sembler superficiel, pourtant c’est la puissance cathartique de l’isolement qui peut permettre à un projet musical d’avoir de la substance.
C’est le même principe que la vague Scandinave de black métal, avec des one man band isolés en Laponie. C’est inspirant.
Es-tu déjà allé en Europe pour trouver cet aspect folklorique qui t’es tellement cher ?
Non, mais j’adorerais. Ma famille vient des Alpes. En plus il y a un certain respect pour la nature en Europe, surtout en Finlande. Mais j’ai beaucoup voyagé aux USA, Canada, Mexique…
Tes impressions sur le Black métal Américain ?
Je l’aime beaucoup, même les groupes que tout le monde déteste comme Deafheaven ou Liturgy (intellectual black metal). Certes le leader de Liturgy (Hunter Hunt-Hendrix) est agaçant, mais je sépare les artistes de ce qu’ils font. Ce sont des groupes qui ont le mérite de repousser les frontières musicales du genre un peu comme ce que font certains artistes avec le hip-hop (Death Grips, Busdriver...). Ce qui pose problème c’est plus les groupes de suiveurs, comme Ghostbath (blackened goat grass eating)…
Ah ça Ghostbath...
Je préférais quand ils étaient chinois ! (rires) Je comprends pas comment ce groupe peut se retrouver sur Nuclear Blast, mais bon chaque genre à son groupe d’intégration ou autre.
Tu vis au Québec depuis quelques temps, comment trouves-tu la scène ici ?
Montréal et Québec sont de bons coins pour le métal, j’adore des groupes comme Forteresse (Blackened Québecore) ou Sorcier de Glace. J’ai l’impression que Montréal est plus porté vers les groupes de Death métal technique. Il y a aussi beaucoup de groupes qui passent jouer à Montréal, donc l’environnement est positif.
À côté de GCE tu as beaucoup d’autres projets comme Kenopsia (post-rock/EDM) dont le premier album est sorti en février 2019.
Oui, le projet s’appelait à l’origine A Perfect Day je l’ai commencé quand j’étais au lycée. Je voulais faire un projet beaucoup plus électro, j’étais très influencé par Tycho, M83, la trance et l’EDM de manière générale. Je prévois de sortir d’autres albums sous ce nom.
Selon le site « Spirit of Metal » tu aurais eu plus de 17 projets. Combien d’entre eux sont encore actif ?
Alors cette liste est totalement fausse et j’ai peu de contrôle sur son contenu. Les projets listés sont juste des idées, beaucoup d’entre eux n’ont aucun enregistrement ou présence live.
Même si cette liste est exagérée, tu es néanmoins hyper prolifique surtout pour quelqu’un d’aussi jeune. Comment as-tu commencé à faire de la musique ?
J’ai commencé à faire de la musique vers mes 12 ans. J’étais vraiment à fond dans tout ce qui était trance, EDM, ambient avec des artistes comme, Carbon Based Lifeforms ou Tiesto. Mon tout premier projet s’appelait « Dark Hardware », c’était juste moi qui m’amusais sur fruity loops puis ça évolué en ce que donne Kenopsia aujourd’hui. Mais quand j’ai découvert le Black et le Doom métal, j’ai commencé à créer cette fusion de musique électronique, de Black métal et de Dream pop, j’ai fait ça avant que ce soit vraiment populaire.
Puis en 2015 j’ai fondé GCE, sous l’influence de groupes comme Skepticism (doom funeral/Suède). Je voulais reproduire cet aspect « force de la nature » que l’on retrouve dans certains groupes de doom/black, quelque chose de massif. Après 3 ans de pauses pour GCE j’ai sorti Miles Before I Sleep, en 2018 que j’ai écrit en un mois. Je ne m’attendais pas à des réactions aussi positives.
Et comment tu as découvert le Black métal ?
Par le rock progressif, je suis un énorme fan de Rush, Yes, Gentle Giant, et un jour on m’a fait écouter Burzum j’étais très jeune et ça m’a totalement marqué. J’ai commencé à me renseigner sur Varg Vikernes (leader de Burzum) et je me suis dit « wow ce dude est vraiment super » sa musique, le personnage et ce qu’il est en général me plaisent énormément. Puis toute la vibe post black metal m’a tellement scotché, surtout un groupe comme Lantlos (projet black atmo de Neige), voilà d’où je viens.
À côté de tes projets musicaux, tu as aussi écrit une nouvelle.
Oui j’ai écrit une nouvelle autopubliée (The Flight of the Loon) quand j‘étais au lycée, une sorte de fusion d’héroic fantasy et de cyber punk, ce n’est pas très bon, mais j’ai apprécié l’exercice. Je pense continuer à écrire et à construire des univers que je pense cohérents avec ma musique.
Pour terminer, as-tu un avis sur les récents événements de la chaine YouTube “atmosphérique black métal” qui a récemment été supprimée puis relancée après des problèmes de copyright ?
Ah j’adore cette chaine, l’administrateur avait mis l’album “Miles Before I Sleep” juste avant la suppression, j’aurais pu atteindre le million de vue, mais bon… Mais je suis content que sa chaine soit revenue, c’est vraiment un élément pivot dans la diffusion du black métal à l’ère digitale. Il a aidé de nombreux projets y compris le mien.