The Langley Schools Music Project est l’œuvre d’Hans Fenger, un musicien vancouverois embauché comme professeur de musique dans une école élémentaire de Langley au milieu des années 70. Méconnue en France, son approche radicale de l’enseignement de la musique a donné naissance à une des histoires les plus fascinantes de la musique moderne. Un autre regard projeté sur l’enfance, qui questionne nos préjugés et notre façon de leur apprendre la musique.

C’est en marchant dans la neige, une playlist Spotify dans les oreilles, que je suis tombé sur une cover de « Space Oddity », une version si étrange que je me suis arrêté malgré les -20 degrés. La pochette du morceau indiquait « The Langley School Music Projet, Inocence and despair », suffisamment d’éléments pour faire des recherches additionnelles et pondre une belle histoire.

Innocence and Despair : « Ces enfants détestaient les comptines. Ils chérissaient des chansons qui évoquaient la solitude et la tristesse. »

Afin de nourrir sa jeune famille, Hans Fenger un musicien de rock canadien accepte un poste de professeur de musique dans une école élémentaire. Plus proche du hippie que du professeur de musique, il débarque sous le regard dubitatif de ses collègues. Le scepticisme du corps professoral est malheureusement confirmé par la prétendue incompétence de Hans, il ne sait pas comment enseigner la musique, lui un musicien de rock sans base théorique ou pédagogique.

Hans décide alors d’employer une approche radicalement différente, il remarque en premier lieu que les enfants ne sont pas du tout réceptifs aux comptines, berceuses et autres genres musicaux destinés aux enfants, ces derniers sont beaucoup plus fans de David Bowie ou des Beach Boys. À travers ces goûts précoces pour la musique pop, Hans construira une approche unique de l’enseignement musical. Il expliquera dans une interview (à retrouver dans la vidéo en fin d’article) :

« Je ne connaissais pratiquement rien de l’éducation musicale traditionnelle je ne savais rien de ce que la musique pour enfants était supposée être. Mais les enfants comprenaient ce qu’ils aimaient : l’émotion, le théâtre et la musique en groupe. Que les résultats soient bons, mauvais, qu’ils soient d’accord ou non, ce n’était pas grave — ils avaient l’élan. Je n’ai jamais aimé la “musique pour enfants” conventionnelle, qui est condescendante et ignore la réalité de la vie des enfants, qui peut être sombre et effrayante. Ces enfants détestaient les comptines. Ils chérissaient des chansons qui évoquaient la solitude et la tristesse.

De l’orchestre d’enfants à l’enregistrement d’un album.

Fort de ce constat Hans passe à la vitesse supérieure. Il demande aux enfants d’apprendre leurs morceaux de pop préférés, d’utiliser des instruments, et ultimement Hans décide d’enregistrer ses élèves. Il réunit donc 60 de ses étudiants dans le gymnase de l’école, la majorité servant de choriste, les autres dans le rôle d’instrumentiste. Ce petit orchestre est dirigé par Hans à la guitare.

CD cover

Le résultat est stupéfiant, la réverbération du gymnase couplée aux voix d’enfants et aux arrangements minimalistes donne à ces morceaux pop une toute nouvelle allure, plus mélancolique, touchante et puissante. L’album est composé de 21 morceaux, principalement des reprises des Beach Boys, de Paul McCartney, de David Bowie et d’autres icônes rock. Les enregistrements ont été pressés en 300 exemplaires à destination des enfants et de leurs familles, et certains ont été distribués chez des petits disquaires locaux.

Ce n’est que 25 ans plus tard, alors qu’un collectionneur de disques canadien se baladait dans un thrift shop de Vancouver, que le vinyle a réémergé. Fasciné par le contenu du vinyle, le collectionneur l’envoie à Irwin Chusid, un historien de l’outsider music (tous ces artistes inclassables), qui diffuse lors de son émission de radio la reprise de “Space Oddity”. Irwin contacte également Hans qui accepte de remasteriser le CD et le sortir une nouvelle fois. Après avoir essuyé les refus de nombreux labels, Bar/None (label indépendant sur lequel on retrouve les Feelies ou Arto Lindsay) ressort l’album en 2011 puis 2018, devenant ainsi la meilleure vente du label.

Que devons-nous en conclure pour nos mioches adorés ?

Au delà de cette belle histoire, le succès de ce projet pose de nombreuses questions. L’univers musical que l’on propose aux enfants reflète-t-il réellement leur quotidien et leur perception du monde ? Comment réagiraient vos enfants, neveux ou nièces si vous leur faisiez écouter les Velvet Underground ? Est-il recommandable d’exposer vos enfants aux 23 minutes de Mogwai Fear Satan ? Est-ce que l’enseignement musical que l’on propose aux enfants est réellement bénéfique sur le plan musical et surtout personnel ? Est-ce que les environnements musicaux rigides, compétitifs, (qui sont ceux du conservatoire) dans lesquels baignent dès leur plus jeune âge les enfants désireux d’apprendre la musique sont favorables au développement personnel et musical de ces-derniers ?

Interrogés des décennies après la sortie initiale de l’album, les anciens étudiants de Hans insistent sur la fierté qu’ils ont eu de participer à ce projet et à quel point cela les avait aidés à grandir. De quoi nous donner quelques éléments de réponses.

Hans démontre qu’avec un peu de dévotion, de ruse et de flexibilité, il est aisé d’intéresser les enfants à la musique. Nous pouvons espérer que son travail inspire des professeurs, des musiciens et des psychologues du développement. Si vous souhaitez entendre ces témoignages d’anciens étudiants et en savoir un peu plus sur un musicien sans formation pédagogique devenu le meilleur professeur de musique au monde, il y a un sympathique documentaire (anglophone) disponible ici :