Sorti en 2007, Control est un film d’Anton Corbijn qui retrace la vie éphémère de Ian Curtis, leader emblématique du groupe post-punk Joy Division, connu pour son destin tragique : mort par pendaison à l’âge de 23 ans. Co-produit avec sa veuve Deborah Curtis à partir de son livre Touching From a Distance, le film donne de la consistance aux textes du chanteur et dévoile la profondeur de Ian Curtis, loin du cliché « Live Fast and Die Young » ; peut-être au détriment des autres membres de Joy Division, passés sous silence.
Ian Curtis : du romantisme punk.
Qu’on se le dise, à fumer ses cigarettes seul dans sa chambre en écoutant du David Bowie et en lisant des poèmes de Wordsworth, Ian Curtis se la joue un peu poète maudit. Le film nous dévoile un personnage romantique qui semble se complaire une vie réglée par la musique et l’errance poétique. Aucun profane qui l’entoure ne semble l’atteindre. Sans doute, ce trait romantique explique pourquoi il tombe si rapidement amoureux d’une jeune fille de son voisinage, Deborah Woodruff qui deviendra Deborah Curtis presque à la scène suivante. A 19 ans, donc – trop jeunes, c’est ce que nous fera comprendre le film.
Chez Ian Curtis, ce romantisme se matérialisera par le punk. La scène où il sort de chez lui, habillé avec son fameux manteau « Hate » est une des plus intenses du film.

« Du romantisme, le punk ?! » S’insurgera-t-on. « Mais c’est un truc d’intello ! » … Et après tout, pourquoi pas ? Les deux rejettent le monde actuel. Pour le reste, le désir romantique de l’idéal qui anime Curtis, c’est peut-être finalement ce qui fera de Joy Division un groupe post-punk : un groupe qui se rebellera et rêvera (ou en l’occurrence pleurera) l’idéal à travers l’art uniquement.
Donner de la profondeur aux textes de Joy Division.
Avec sa femme, ils vont à un concert des Sex Pistols, où ils retrouvent les futurs membres de Joy Division, en pleine recherche d’un chanteur. Après de longues hésitations, Ian finit par céder. Mais sa relation avec Deborah s’annonce déjà problématique. Il sait qu’il devrait avoir un « vrai travail » pour aider non seulement sa femme, mais aussi sa petite fille qui arrive, Natalie. Aux côtés des Buzzcocks, le groupe se bâtit vite une petite réputation. Ils proposent une alternative à la musique punk qui a la même énergie, le même minimalisme, mais qui diffère dans l’intention. « Les Sex Pistols ont chanté « No Future », mais il y a un futur et nous essayons de le construire[1] » disait Allen Ravenstine du groupe Père Ubu en 1978, signant par-là une bonne définition de ce qu’est le Post-Punk. Lors d’une interview, Ian fait alors la connaissance d’Annik Honoré, journaliste musicale, dont il tombe amoureux. Dans son apparence, mais aussi dans son attitude, Annik rappelle une Patti Smith ou une Nico – un idéal artistique ; le contraire de Deborah, cantonnée au rôle de mère.
Si on a souvent imputé à Annik Honoré la responsabilité du suicide de Ian Curtis (comme à Courtney Love la mort de Kurt Cobain, à Yoko Ono la dissolution des Beatles voire la mort de John Lennon – à croire que dans notre société il faut toujours une Eve pécheresse qui soit la cause du mal !), le film défend au contraire une Annik bienveillante pour Ian, réellement (mais aussi tragiquement) amoureuse de lui. Le chanteur est déchiré entre son amour artistique et intellectuel pour Annik et son amour de jeunesse pour Deborah. Plus qu’une simple pop song, « Love Will Tear Us Apart » prend tout de suite un sens plus dramatique. Et on comprend aussi que le morceau « Isolation » est une réponse à ce genre de problème relationnel.
Par ailleurs, le film propose une reproduction quasi-parfaite des morceaux les plus connus du groupe, identiques jusqu’aux moindres mimiques et détails de tous les membres du groupe. Corbijn s’est même risqué à tenter une reproduction audiovisuelle du concert sur-connu de « Transmission » donné à la BBC. Et c’est une réussite.
Avec une Deborah bien inquiète à la fin …
Ian vit de plus en plus mal le succès grandissant de son groupe, qui le tire loin de sa famille et à chaque fois plus longtemps. Particulièrement leur tournée en Europe (la seule et unique que fera Joy Division). Sur la route, entre deux concerts, il se découvre sujet à de graves crises d’épilepsies. A en croire le film, « She’s Lost Control » (d’où est tiré le nom du biopic) parle justement de cette perte de contrôle que subissait le chanteur pendant ses crises.
Un thriller poétique sur l’idée de contrôle.
Control est donc une véritable plongée au cœur des lyrics de Ian Curtis, dont il propose une certaine interprétation et en révèle toute la profondeur. Mais le film souffre un peu d’être centré exclusivement sur Ian Curtis. Les fans de Joy Division souhaiteraient en savoir plus sur le rôle des autres membres dans le processus créatif qui a mené à la réalisation de leurs chef-d’œuvres. Leurs noms complets ne sont mêmes pas mentionnés … laissant planer l’idée que Joy Division, c’est Ian Curtis à lui tout seul. Peter Hook, Stephen Morris et Bernard Sumner méritaient d’être mieux gratifiés.
Mais en même temps, le biopic se défait de son rôle documentaire et acquiert une véritable autonomie artistique. Intégralement filmé en noir et blanc, d’une esthétique implacable, l’œuvre de Corbijn se situe entre un polar sondant les raisons du suicide de Curtis et un roman noir, qui n’a d’autre finalité que la recherche du frisson provoqué par le sinistre. Et puis, le film ne s’appelle pas « Joy Division », ni même « Ian Curtis », mais Control. Il est une méditation sur ce contrôle, que Ian devait essayer de reprendre pendant chaque crise d’épilepsie, et qu’il devait essayer de garder dans sa double vie d’artiste rock et de père de famille. Le film nous fait ressentir que Curtis ne s’est probablement jamais considéré comme un véritable père. Tiraillé entre les membres de son groupe qui veulent partir en tournée aux Etats Unis, son amour coupable pour Annik, son désir d’être un bon père et ses crises d’épilepsies de plus en plus fréquentes et violentes, Ian Kevin Curtis se tuera le lendemain d’une énième crise, probablement dégoûté de lui-même. Le film, qui se conclue après la pendaison, laisse planer en suspens l’idée que la corde était peut-être une énième tentative désespérée pour lui de chercher à contrôler son destin une dernière fois.
Au final, en dévoilant une face de Ian Curtis à la fois humaine et sérieuse, Control est un film qui se tient loin du « Live Fast and Die Young » que l’on associe souvent trop vite à Ian Curtis (et surement aussi à tous ces rockeurs morts trop jeunes[2]). Maintenant on peut s’en rendre compte. Et on le remercie pour ça.
[1] Rip It Up And Start Again, Simon Reynolds, Editions Allia.
[2] Sauf peut-être à Sid Vicious !